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E-INCLUSION, JE CODE TON NOM

Copyright Frédéric Bieth 8Nous dessinons un monde où celui qui fait est celui qui sait. A la « fracture numérique » des usages, s’est substituée une « fêlure socio économique » des langages. Ces langages informatiques pourraient cliver (les générations, les hommes et les femmes, les nantis et les délaissés…) comme ils pourraient inclure. Parce qu’ils sont universels, accessibles et agissants, ils confèrent à celles et ceux qui s’en emparent le pouvoir…de participer au monde en train de se faire voire d’inclure à leur tour !

E-seniors et femmes des années 2020…

femmes jusqu’au bout des seins : l’artiste Albertine Meunier a encouragé des femmes âgées de plus de 70 ans à descendre dans la rue munies de tablettes pour questionner quant à la signification de « roploplos » de jeunes passants, interdits ! …Autre démarche iconoclaste proposée au Ministère de l’intérieur peu après le 13 novembre 2015 par les animateurs de l’école 42 : déployer un réseau de grands-mères prêtes à consacrer quelques heures hebdomadaires à détecter des publications suspectes sur internet.

Deux initiatives soulignant a contrario deux des lignes de partage sociétales tour à tour esquissées et effacées par le numérique : dans la sphère de la production d’abord. Les femmes représentent 21% des ingénieurs de l’informatique(1). Elisabeth Bargès, Public Policy Manager Innovation Google France, milite pour que ce ratio progresse et avance que « le numérique offre un environnement bienveillant pour les femmes : égalité salariale, articulation des temps de vie /compréhension des impératifs personnels, télétravail, hiérarchie aplanie, etc. »

Au sein de l’école Simplon (cf. encadré), connue pour sa vocation à démocratiser l’apprentissage de la programmation informatique, certaines « promos » surpondèrent la représentation féminine à 70% pour  « pallier le syndrome de l’imposteur  encore à l’œuvre même lorsque la gent féminine atteint 50% de la population apprenante » relate Frédéric Bardeau l’un de ses fondateurs.

Dans celle des usages ensuite : les seniors, réputés marginalisés par la déferlante des NTIC, s’acculturent vite, aidés en cela par les fabricants (2) et la jeunesse qui les pousse à la roue. A l’instar de la remarquable initiative de FCB Brazil reliant, via des webchats réguliers, de jeunes brésiliens désireux d’améliorer leur anglais à des retraités américains sujets à la solitude (3).

Handicap et international…

« Je ne cherche pas les erreurs dans les logiciels, je les vois », assène Mélanie employée par Auticon, cabinet de conseil informatique ayant choisi d’œuvrer pour moitié avec des consultants autistes. « L’an passé, 85 étudiants de l’école 42 à Paris se sont spontanément mobilisés autour d’un plan de collecte de données sur l’autisme » raconte Kwame Yamgname, désormais affairé à l’ouverture de l’antenne californienne où il observe déjà des comportements similaires à ceux des étudiants de Paris : « beaucoup visionnent des Tedx aspirationnels, s’interrogent sur leur contribution concrète à l’amélioration de l’état du monde. Pourquoi se soucieraient-ils d’abord de leur plan de carrière compte tenu du manque patent de développeurs ? » (4) ?

En Afrique aussi, les nouvelles technologies réparent des asymétries. DALIL, start up algérienne e-santé, déjà plébiscitée à l’international, vient ainsi en aide aux aveugles. Son système de reconnaissance d’objets et de navigation permet aux personnes visuellement déficientes de détecter les objets qui les entourent grâce à une application sur smartphone.

Dans un registre humanitaire, l’australienne Alexandra Clare prend acte du manque drastique de compétences exprimées par les acteurs des NTIC, d’une part,  du besoin flagrant de dignité dans les zones conflictuelles, d’autre part. Re : Coded initie au code, langage transnational quoiqu’empreint d’anglais, les déplacés syriens en Irak. Cette année, 800 jeunes dont 40% de femmes, ont été intensivement formés pendant huit mois dans quatre bootcamps. L’ONG permettra à la vaste majorité de trouver un emploi local, en télétravail ou non.

Le code, son apprentissage, sa diffusion, l’appropriation de ses applications ébauche maintes réconciliations possibles. Dans leur fabrication, leurs usages, et leurs visées, les NTIC embraquent toujours plus bidouille, collaboration, résilience et propagation. Une bonne nouvelle à propager ?

 

SIMPLON.co

Portrait, L'express, L'express Entreprise, L'entrepreneur de l'année 2015, Prix de l'Engagement Sociétal,
Portrait, L’express, L’express Entreprise, L’entrepreneur de l’année 2015, Prix de l’Engagement Sociétal,

Cette fabrique contemporaine propose une formation intensive et gratuite de six mois au développement web et mobile. SIMPLON.co accompagne aussi ses publics éloignés de l’emploi vers l’entrepreneuriat numérique. Tiers lieu où convergent les innovations technique et sociale. Frédéric Bardeau et ses compères auront formé au code 25 réfugiés syriens en 2016, ouvert 30 établissements depuis la genèse du projet montreuillois en 2013 dont, à la rentrée dernière, un à Molenbeek et un au Liban ! In code we trust…mais pas seulement.

 

(1) Jacqueline Laufer

(2) « Il importe de  proposer des solutions adaptées aux seniors[…]  lecture facilitée des messages (gros caractères, lecture en synthèse vocale), les outils simples pour répondre (texte, vocal, vidéo, …), etc… sont autant d’atouts pour initier nos aînés. ». expliquent Christophe Boscher et Thierry Corbillé, présidents et cofondateurs de Tikeasy. Même combat chez Emporia ou Doro.

(3) http://www.sparknews.com/fr/video/perfect-match-brazilian-kids-learn-english-video-chatting-lonely-elderly-americans

(4) 600 000 poste à pourvoir en informatique aux Etats-Unis en 2016 tandis que l’Europe affiche 900 000 emplois vacants dans le numérique d’ici 2020. (Commission européenne, étude « E-skills »)

(5) Conseil national d’évaluation du système scolaire

Tempérance contre tant d’errances

boucheron_conjuer_la_peurPrendre le temps. Douce injonction de nos vacances. Tempérer. Nécessité historique de garder la tête froide à l’heure où nos esprits s’échauffent. La fameuse fresque politique commandée par les édiles Siennoises à Ambrosio Lorenzetti vers 1338 nous rappelle la gémellité latine de ces deux mots : temps et tempérance. Patrick Boucheron a pris le temps de décrypter cette formidable représentation de l’art de gouverner. Où l’on vérifie la difficulté d’établir la concorde, l’ambivalence des liens unissant les citoyens. Où le lecteur de cet enivrant historien qu’est Patrick Boucheron – récemment monté en chaire au Collège de France-  réalise, médusé,  le degré de maturité politique des représentants de la commune de Sienne. Commanditaires de cet immense discours politique rendu visible en peinture sur les murs habillant leur conseil municipal, ils ne cèdent pas à la facilité de désigner un ennemi extérieur réputé tyrannique mais préfèrent confondre la seigneurie tapie alentour : drapée dans des arguments respectables et séduisants, elle déconsidère au fond les causes communes, les droits civiques et le peuple. L’esprit de ces magistrats préfigure notre démocratie. L’œuvre de Lorenzetti revêt une profonde vérité. La parole individuelle, instantanée, toujours potentiellement démagogique doit concéder du terrain aux images complexes, plus largement aux ouvrages collectifs, à l’urbanité.

 Patrick Boucheron nous dévoile en quoi ce discours s’avère subtil, courageux, nécessaire, actuel !

Le relief de nos vi(ll)es.

vegetal city

Prendre de la hauteur. Le contraire de prendre de haut. Jusqu’à preuve du contraire, les montagnes nous soulèvent. N’en déplaise aux conteurs de success stories. En marchant plus haut nous voulons voir plus loin. Quel est le Graal du randonneur ? Le panoramique, pardi ! Et vous, n’avez-vous jamais été tenté de tout voir ? Quitte à ne plus rien avoir ? Lorsqu’il s’agit de s’élever, le manager contemporain s’allège. Cet allègement me paraît salutaire bien plus que la vue réputée, comme le serait une place forte, imprenable. Infantile quête du « surplomb » dont le romantisme maquille notre incoercible pulsion dominatrice de l’environnement.

Ce que nous redécouvrons en montant, s’apparente à ce que nous éprouvons au contact de la nature : la symbiose. Vécue en hyperbole. En montagne, l’expérience symbiotique palpite plus fort à chaque pas. Plus vous grimpez, plus vous éprouvez le relief, en vous. Les cimes découpées semblent épouser votre encéphalogramme calqué sur votre excitation contemplative.

Les organisateurs du dernier Congrès national du CJD ont osé les alpages : plus de 1600 dirigeants transhument vers autant de mètres le 24 juin 2016. Ce jour là, La Clusaz a vu des patrons chanter, randonner, assister à des conférences, dévaler, (se) poser des questions, pâturer… Inspiration.

Croyez-moi, l’intervention de Luc Schuiten, architecte Bruxellois, qui de sa vie a fait une poésie future, aura marqué son public –attentif, pressé dans un bar alpin – et cette journée sous le sceau de l’oxygène bonifié quoique raréfié là-haut. Luc Schuiten nous projette aux cités des merveilles. Ses dessins aux crayons de couleurs donnent à voir Sao Paulo, Bruxelles ou Lyon à l’orée du XXIIè siècle. Où les jardins verticaux se substituent aux chancres, les artères redeviennent fluides, les potagers légion, où les arrondis s’harmonisent. Télé-féériques, ses initiatives ne le sont pas moins ; archiborescent, il est humain-au-vivant-connecté. Sillonne la capitale européenne à 60kmh dans une voiture à pédales, lévite dans son jardin au faîte de ses arbres sans autre énergie que celle de son cerveau, « donne des ailes », littéralement, aux participants de sa fabrique à OVNI : ornithoplane quadri-ailé, aéroplume et autre zeppelin en forme de raie Manta prennent réalité et envol dans son immense atelier-hangar.

L’audience des jeunes dirigeants s’esbaudit ci-devant Léonard De Vinci, réincarné, si devin de notre monde à venir. A la question posée par une dirigeante curieuse de comprendre pourquoi les collectivités auront si peu donné suite à ses projets fous, le septuagénaire répond, sincère : « parce que j’habite en 2100 ».

En l’écoutant voir loin m’est revenu l’idée que nos villes nivellent. Nos cités expurgent. Essentiellement anti-naturelle, la ville circonscrit les arbres et parterres de fleurs, parque jardins et pelouses, souvent « interdites », enserre le printemps mais laisse fuiter quelque « coulée » verte pour donner le change. Monnaie qui ne devrait plus singer le citoyen. Militant en herbe pour le retour des chevaux sur les axes, cochons et poules dans les cours intérieures, abeilles sur les toits… et potagers un peu partout, à commencer par les cours d’école par trop goudronnées.

Le parisien en week-end ne s’émeut guère plus du prosélytisme néo-provincial vantant l’urgence de renouer avec la vie. « Dans ville il y a vie » clamait, a contrario, un slogan de distributeur comme pour conjurer l’évidence. Soit dit en passant, l’art publicitaire consiste moins à vendre du rêve qu’à prendre la réalité à revers.

Signe du temps, le dilemme frappant récemment la municipalité de Detroit intimée de choisir entre la cession de ses collections d’art et la banqueroute. Cette même ville a vu éclore, concomitamment, de salvatrices (?) initiatives agro-citoyennes à la reconquête vivrière de ses sols jadis dévolus à l’industrie automobile. Histoire américaine, reflet exagéré de notre destinée européenne ; nos pouvoirs publics s’enorgueillissent de mener des politiques culturelles urbaines volontaristes. Et seraient bien inspirés d’encourager de véritables initiatives agricoles à l’avenant.

Ainsi le citadin de demain (7 habitants sur 10 sur Terre) réconcilié avec sa ville-alliée-de-la-nature ne devrait plus éprouver le même impérieux besoin de prendre la clé des champs. Aujourd’hui, le néo-rural, repu de nature, se languit du bouillonnement culturel des mégalopoles. On voit bien l’opération de vases communiquant à accentuer en vue de conférer plus de racines aux urbains et plus de sève aux ruraux. De la surface agricole utile et partagée pour les uns, des convois culturels mobiles pour les autres. Opération qui semble épouser la courbe de l’épopée humaine et de notre immarcescible tentation de nous ériger. Oui, tu as bien lu, homo erectus.

Les réflexions qui précèdent ont surgi à la confluence des alpages et des utopies* urbaines. C’est à dire en altitude alias refus de la platitude. Marcher en montagne revient à valider notre voûte plantaire (désolé pour les lecteurs aux pieds plats !). Adieux trottoirs, escaliers, immeubles à angles droits, esplanades et marmoréennes galeries… bonjour sentes, pierriers, éboulis, racines, arrêtes et ubacs… les nostalgiques de notre ancestrale démarche – nus pieds – se consolent grâce à l’artefact de quelques chausseurs dont les godillots vous promettent le déséquilibre. N’étaient les MBT –c’en est la marque la plus connue- la ville impose sa fonctionnalité au temps comme à l’espace : elle planifie et aplanit. Lisse jusqu’à la diversité architecturale. Même les couleurs sont traitées en aplat. Enseignes, devantures, structures en aluminium, les couleurs affichées par et dans la ville se veulent univoques. Le vert de l’enseigne Body shop** simplifie à l’extrême celui des conifères savoyards, composite de plusieurs verts, dissimulant imparfaitement le marron des branches, du tronc et autres reflets bleus et gris au revers des épines…

Luc Schuiten et plus largement ce Congrès du CJD, nous auront permis de prendre de la hauteur. Non pour nous enjoindre de construire nos vies avec l’arrogance des architectes qui prévaut à Shangaï et Dubaï mais dans l’idée d’y incorporer comme dans nos villes, plus de nature, un relief organique.

*L’utopie, plutôt qu’un « rêve inatteignable » pouvant se définir comme un bienfait non encore expérimenté.

**le « vert Body Shop » a statut de référence pantone

Hé Las Vegas!

las vegasQue trouve t- on derrière l’image ? Au-delà de « l’idée que l’on se fait de… ». Quelle image avez-vous de Las Vegas ? Le bien nommé Christian LUTZ donne à voir une sorte de trash investigation made in Las Vegas dans le cadre (et quel cadre !) du Festival de la photographie documentaire « Images singulières » à Sète jusqu’au 22 mai.

La vérité se loge dans l’œil de celui qui regarde. La photographie en général se veut, se doit critique. En particulier celle de Christian LUTZ. Sa méticulosité sert une iconoclastie d’un genre nouveau ; ce n’est pas tant l’image de Las Vegas mais sa vitrine qu’il brise. Son coup d’éclat consiste à faire cela sans bris. Ses caissons lumineux (forcément) apostasient la ville texane. Chacun d’eux échantillonne cette société d’écrans. A crans. Regards torves. Machine à saouls. Où les manchots mendient. D’autres comme occis, morts, bras écartés. Beau désastre. Figures tragi-comiques ; une paire de peluches disneyiennes s’abîment dans le caniveau. On touche le fond. Le fond et la forme sidèrent : littéralement, ce talent suisse nous sape tout désir. Sauf celui d’anéantir ce simulacre de néons. Comment ? En nous enjoignant, nous spectateurs, sans mots dire, de briser la glace. Consigne absurde ; le marteau est à l’intérieur…déjà empoigné par l’auteur.

PATRON MAIS PAS TROP

avironLe dirigeant contemporain donne des directions plus que des directives. Il ou elle incarne l’esprit de l’entreprise et la transcende en adoptant une posture « meta ». Une telle attitude ouvre sur l’interrogation fondamentale qui semble sceller les parcours des dirigeants d’exception : « comment rendre l’entreprise meilleure ? ».

 

EXEMPLARITE

Lors de ses recrutements, Brian Chesky, co-fondateur d’AirbnB regarde le candidat dans les yeux et demande : « imagine qu’une seule année te reste à vivre. Viens-tu néanmoins travailler chez AirbnB ? La moindre hésitation dans l’attitude du postulant s’avère rédhibitoire. Depuis Alexandre le Grand jusqu’à Steve Jobs en passant par Jules César ou Napoléon, les leaders exigent de leurs proches un engagement sans faille et peuvent le faire car de tous les combats, ils le sont « au premier chef » : arpentant le campement tard la nuit ils sondent le moral des troupes, parlent aux munitionnaires, écoutent et distillent des encouragements. Le lendemain, ils chargent d’abord puis viennent après la bataille se pencher sur les blessés…  Suffit. Que lègue le chef de guerre au leader contemporain ? Son énergie ? Oui, débarrassée des visées belliqueuses.  Mais une énergie galvanisante parce que frappée au coin de l’exemplarité. Laquelle  n’est « pas un moyen de gouverner mais le seul » rappelle les créateurs de l’école des patrons (1).

Le pape François exige de ses archevêques qu’ils ne restent pas derrière leur bureau « à signer des parchemins » et les enjoint à se comporter  en « bergers qui sentent l’odeur de leur troupeau »(2).

En marchant avec ses collaborateurs au débotté, le dirigeant écoute, glane des suggestions, aide sur le champ et/ou distille les valeurs de l’entreprise. Bill Hewlett et Dave Packard ont popularisé le Management by wandering around, véritable démarche pratiquée par Abraham Lincoln(3) et étrennée par les péripatéticiens, contemporains d’Aristote.

La balade conversationnelle ne saurait voiler la dimension la plus structurante de l’exemplarité : la discipline. Pour preuve, cette confession de Michel-Ange : « si les gens savaient combien je travaille dur pour acquérir ma maîtrise, cela ne leur semblerait pas, après tout, tellement merveilleux ».

En visant l’exemplarité, mère de toute admiration reçue, le dirigeant influence plus qu’il n’use d’autorité. En contrepoint de son immersion à l’œuvre, évoquée à l’instant,  le dirigeant exemplaire sait aussi rayonner : en sortant de sa boîte il pensera à l’avenant, « out of the box ». Bien au-delà d’éventuelles sorties médiatiques, sa participation à des cercles de réflexion ou  réseaux de confrères, engagements auprès d’organismes d’intérêt public, les retours d’expérience qu’il distillera sur son blog, par exemple, le feront grandir.

Le souci de frugalité et d’équité innerve aussi la tension asymptotique vers l’exemplarité : souvent les entrepreneurs sociaux incarnent et partagent ces valeurs manifestes mais pas seulement. Ainsi Jack Dorsey vient-il de céder le tiers de ses actions de Twitter à ses salariés, le prince Al Walid Bin Talal 100% de sa fortune soit 32 milliards de dollars à des œuvres caritatives. Dans un registre néo fordiste, Dan Price PDG de Gravity Payments a fait couler de l’encre en fixant le revenu minimum de ses 120 collaborateurs à 70 000 dollars  après avoir divisé son salaire par 14.

 

HAUTEUR

De fait, la meilleure façon d’avancer consiste à prendre du recul, constatent la majorité des leaders. A double titre. Au sein de l’entreprise d’abord : Michel Sarrat, PDG de GT location, entreprend chaque année depuis dix ans une « démarche vision ». Soit deux jours occupés à « renforcer l’alliance entre nous (comex et  directeurs de filiales) puis inviter l’ensemble des salariés(4) à réfléchir avec nous ».

Le dirigeant gagnera aussi à s’abstraire à titre personnel car « travailler sans cesse rend fou » aimait à rappeler De Gaulle qui s’inquiétait de ce que certains de ses ministres n’aient pas de hobbies. Chausse trappe conjurée par de nombreux capitaines d’industrie : François Pinault comme son rival Bernard Arnault en collectionnant l’art contemporain, Pierre Chappaz à la tête de Teads ou Jean Baptiste Rudelle, à l’initiative de Criteo en se consacrant respectivement à l’escalade et à la politique d’une part, aux échecs, au kite surf et à l’écriture d’autre part. Les deux marottes de Marissa Mayer, PDG de Yahoo!, la danse et l’art l’ont amené à devenir membre du conseil du ballet de NYC et du musée d’art moderne de San Francisco. Michel Sarrat évoque quant à lui des « lieux ressource » et notamment la méditation en pleine conscience qui « en une minute voire quelques secondes fluidifie [ses] dispositions mentales et le passage d’un instant à l’autre  entre par exemple une réunion animée et un moment d’intense concentration ».

 

HUMILITE

« Quand les décideurs s’inspirent des moines » (5) le livre de Sébastien Henry, serial entrepreneur en Asie aura transformé quelques vies managériales outre celle de Michel Sarrat.  Notre terrain de jeu professionnel semble borné par les contingences de notre enveloppe corporelle d’une part et la durée de notre carrière de l’autre. Or on peut repousser les limites de son corps en l’écoutant et explorer l’idée que nous nous engageons dans quelque chose de plus grand que notre existence. Voilà ledit terrain agrandi ! Et, oh surprise, cet arpent délimite celui de l’humilité. Celle qui inhibe l’arrogance et invite à la plus grande maîtrise de soi. Vanité, hydre bicéphale auquel le leader n’a de cesse de trancher la tête.  « Le plus puissant est celui qui a la puissance sur soi » rappelle Sénèque.

En la matière, les garde-fous semblent bienvenus, à commencer par s’entourer de contradicteurs. Se détourner du principe d’homogamie qui sous-tend le recrutement de pairs et profils similaires à ceux déjà en place peut s’avérer salutaire : lors de retournement de situation ou de projets innovants un collaborateur « atypique » s’exprimera, dans tous les sens du terme. A l’heure de s’entourer, le boss considérera ce que les évolutionnistes appellent les « causes ultimes »(6) : elles englobent tous les facteurs qui dans le passé ont renforcé l’espèce.

(1)http://www.ecole-des-patrons.com/

(2)Lead with Humility : 12 Leadership Lessons from Pope Francis, par Jeffrey Krames ; Editions American Management Association.

(3)D’après l’historien Stephen B. Oates. Communément, management by walking around ou MBWA.

(4)GT location emploie 2000 personnes.

(5)Dunod, 2012.

(6)par opposition aux « causes proximales » ; Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France.

 

L’ENTREPRISE MUE ?

tropical butterflyLe XXè siècle aura vu s’imposer la démocratie sur la scène politique, le XXIè consacrera-t-il sa suprématie dans la sphère économique ? « Démocratiser l’économie », ligne d’horizon de l’économie sociale, née au XIXè siècle, telle pourrait être la résultante, empirique, des entreprises libérées.

L’entreprise libérée… de quoi ?

Le malheur au travail se polarise entre le burn et le bore out.  Tandis que le surmenage défraie la chronique, un syndrôme plus sourd plombe les entreprises : celui de l’ennui au travail. Le désengagement concernerait en France 65% des collaborateurs (1).

Ce mal être résulterait des fonctions inutiles (2), de l’excroissance d‘un reporting consistant à remonter des dysfonctionnements et d’autres mécanismes de neutralisation dans la médiocrité. Volkswagen fait les frais d’une obstruction de sa tuyauterie informationnelle : en 2014, les ingénieurs ont laissé filer l’occasion de révéler la duperie, tétanisés qu’ils étaient par une gouvernance intraitable.

Libérer l’entreprise, aussi, afin d’y faire cesser la mascarade de l’ego, de challenger le royaume des mâles dominants, de revenir à l’étymologie de « concurrents » -courir avec et non contre-, d’ouvrir les fenêtres de l’intuition.

Réinventer l’organisation (3) pour réparer le « je-nous », désarticulé. Réconcilier individuation et rêve collectif.

 

Une révolution spirituelle des dirigeants ?

Patrick Viveret l’observe, le Pouvoir ne s’écrit plus avec un grand « P » et se décline toujours plus avec un complément d’objet direct : « le pouvoir de faire ceci et cela » de chacun supplante déjà les postures autocratiques de quelques uns.

Non seulement les patrons de Favi, de Gore ou de Poult ont-ils refusé le piédestal mais leurs cursus soulignent le fait générateur de toute entreprise libérée : une profonde révolution « corps et âme » du boss. Laquelle s’accompagne, osons une hypothèse hardie, d’une distanciation à l’endroit du profit donc d’une acceptation de la mort. Obnubilées par le profit, la plupart des organisations seraient tétanisées par la peur de mourir. Pulsion limitante. Midas en fut victime, transformant tout en or au point de dépérir.

Au fond, notre siècle pourrait recruter ce qu’Antonin Artaud appelait des « hyperactifs bouleversés » : des patrons qui aiment la vie et l’entreprise parce qu’ils savent que les deux ne sont pas éternelles.

Frédéric Laloux montre que les entreprises libérées performent magnifiquement or il se trouve que le profit n’en est ni l’objectif premier ni la visée dernière !

 

La logique du vivant

Si nous comprenons, jusque dans le tréfonds de nos cellules, que chacun d’entre nous fait partie du vivant (et non pas seulement que le vivant nous entoure) alors nous tenons ici une représentation régénérante du monde en général et du monde de l’entreprise en particulier.  « La cellule et l’organisme multicellulaire se gouvernent de façon fortement décentralisée. Les émergences qu’ils produisent émanent du jeu des interactions en leur sein et non pas d’un organe directeur. » nous rappelle un neurobiologiste.(4) L’organisation démocratique s’apparenterait-elle à celle de l’étoile de mer (5) ? Lorsque celle-ci perd une branche, il en pousse une autre. Cela s’appelle la résilience. Ce concept pourrait-être la clé de voûte de nos sociétés avec un petit voire avec un grand « S ».

 

Je suis ton pair

Révolution interne des dirigeants, pratique organique de l’organisation…cela suffit-il à renouveler le régime des entreprises ? Si l’entreprise libérée procède d’un partage de valeurs elle n’opère pas (encore) le partage de la valeur. En tous cas, ses praticiens ne remettent pas en cause l’actionnariat, savent que les « statuts ne font pas la vertu » et privilégient le pragmatisme. En cédant parfois le gouvernail à l’intelligence collective grâce aux nouvelles technologies. Selon Michel Bauwens, la logique du pair à pair permettrait de réparer les injustices sociales ou encore la dégradation des relations humaines. Dans une structure sociale irriguée par le P2P, chacun serait capable de communiquer et de collaborer sans avoir besoin de demander la permission.

Ce théoricien belge du pair à pair aura inspiré Boris Sirbey, philosophe entrepreneur, qui vient de mettre au point, avec l’école 42 elle-même « libérée », CollectivZ, une plateforme ludique et sérieuse permettant de fluidifier son entreprise. Outre CollectivZ (encadré), StormZ (6) accompagne les entreprises dans la constitution et l’animation d’ateliers en tous genres. Leur technologie propriétaire mise entre autres sur l’anonymat des protagonistes : leur parole s’en trouve libérée. Sinon un renouveau, c’est un bon début.

 

Fluidification mode d’emploi

Fluidifier l’organisation avec CollectivZ. En quatre étapes:

  1. Co-idéation

Tout un chacun peut suggérer un projet. A l’inverse du « like » de Facebook, chacun des membres de la communauté dispose d’un nombre limité de jetons. Les idées ayant collecté le plus de jetons-suffrages, sont mises en œuvre.

2. Gouvernance participative

« Vous pensez, vous faites ». Le plébiscite du projet vaut pour son porteur. Des leaders émergent et attirent les personnes intéressées par ledit projet. L’équipe-projet reste de taille réduite (12 personnes maximum). Elle choisit toutes les modalités, de travail, de communication…

3. Action collective

Chaque projet et son suivi sont alors rendus visibles sur une plateforme collaborative. Des missions y permettent d’accumuler des points d’expériences puis des badges de talents (talents estimés selon moi et selon les autres).

4. Apprentissage

Enfin, chaque projet s’archive et se partage : une évaluation indiquant ses succès, limites et erreurs ainsi qu’un gabarit sont mis à la disposition de la communauté. Les badges consacrent, pour chaque projet, des « Sages » dont les connaissances peuvent être mises à contribution ultérieurement.

(1) Etude Gallup 2011 / 2012

(2) Les fameux « bullshits jobs » épinglés par David Graeber.

(3) Frédéric Laloux « vers des communautés de travail inspirées » (Diateino)

(4) Francisco Javier Varela neurobiologiste et philosophe chilien. 1989

(5) « l’étoile de mer et l’araignée » Ori Brafman et Rod A.Beckstrom, 2006

(6) Stormz.co/fr et collectivz.info

ZWEIG: un humaniste européen

zweig_ErasmeVoilà un biographe qui vous raconte la vie. Tachycardie garantie. Une palpitation sonne l’écoulement du destin collectif, une autre scande la destinée individuelle précipitée. Stefan ZWEIG écrit l’Histoire des histoires. Il se penche sur les figures historiques avec la précision, la méticulosité d’un chirurgien et l’empathie d’une sage femme. Littéralement, il connait son sujet.

Son sujet, en 1936, deux ans après la parution d’Erasme, c’est l’humanisme combatif. Incarné quZweig_cs_contre_violence_atre siècles plus tôt par un savant audacieux, Castellion. Son combat ? Il le porte contre une figure encore plus détestable que celle de Luther, déjà dépeint comme un Réformateur fanatique dans sa précédente biographie : la figure de Calvin. A la différence d’Erasme, face au père intransigeant du protestantisme, Castellion se dresse d’emblée et sans pusillanimité contre le tyrannique théologien de Genève, rédige le bien nommé « manifeste de la tolérance » ce qui lui vaudra – de la part de Calvin et ses disciples –  les foudres puis les flammes

« Ceux qui savent ne sont pas ceux qui agissent et ceux qui agissent ne sont pas ceux qui savent » observe l’auteur, fasciné de ce que son héros, parce qu’informé, se sente investi. Au point de risquer sa vie. En revanche, il déplore qu’Erasme s’efface devant la violence éruptive de Martin Luther. Ses deux biographies esquissent, en filigrane, le déchirement intime de Zweig face au national socialisme rampant et préfigurent sa destinée : doué de prescience, décrypteur du sens de l’Histoire, receleur de son immense porosité devant les affaires de l’âme mais perclus de la souffrance du monde, il finira par s’anéantir.

Théâtre : Gombrowicz Honoré

Si vous voulez connaître la fin de l’Histoire, n’allez pas voir cette pièce. Objet théâtral non identifié. Christophe Honoré nous sert, sur un plateau déjanté, un théâtre qui déraille.  Les comédiens y chantent (faux) mais nous enchantent (pour de vrai).  L’auteur de ce texte inachevé, le jeune « Gombro » Witold de son prénom, revient à la vie et sur scène. Merveilleux. Incarnation, gracile et mutine, que l’on doit à Erwan Ha Kyoon Larcher, acrobate de formation. Pendant 2h45, il va « danser » notre auteur polonais disruptif. Lequel nous recèle son Immaturité ontologique. Witold Gombrowicz interroge le « bénéfice de la jeunesse ». Ce n’est pas, comme le suggère l’idiome, qu’elle récolte la sollicitude des grands. Son bénéfice, à la jeunesse, est plutôt littéral, étymologique. Elle nous fait du bien.  In fine. D’abord, elle dérange. L’ordre établi. Le train-train. Celui-ci n’arrive pas. La famille « Gombro » l’attend pourtant lors d’une scène inaugurale campée dans un imposant hall de gare de province polonaise. Problème d’horloge. Lequel réussit à l’actrice Annie Mercier dont le jeu, jouissif en première partie, culmine lors d’un soliloque endiablé sur l’omniprésence de la terreur et captive ainsi son public frémissant encore du 13 novembre. Witold retire alors ses chaussures. L’ordre des adultes vacille. Leur agitation les infantilise. Que voit le spectateur, outre l’apparente contagion du ridicule ? Il voit que l’immaturité nous constitue. Que l’informe fascine, sans exception : qui n’est pas animé du désir, iFin-de-lHistoirerrépressible, de « former » l’adolescent ? Nous désespérons d’un monde informe et nous tuons à lui donner des contours. Remets tes chaussures. Witold fait semblant d’obéir puis dansera sa vie à transformer son monde tandis que le réel s’abîme. Le réel gouverné par des idées. Le réel de Staline et Hitler réunis par Christophe Honoré au deuxième acte lors d’un Munich délirant. Enfants martyrs déguisés en adultes, tyrans capricieux et immatures. Marlène Saldana, alias Staline, chauffée à blanc après une chorégraphie anti cléricale disjonctée au premier acte, implose avec audace cette imposture historique.

A la fin, pas d’histoire mais de grands moments de théâtre.

Fin de l’Histoire d’après Wiltold Gombrowicz. Texte et mise en scène de Christophe Honoré.En tournée nationale : Toulouse du 11 au 17 décembre 2015 / Valence les 6 et 7 janvier / Créteil du 28 au 30 janvier / Nice du 25 au 27 février 2016.

SURCHAUFFE : UN COMBAT SOUTERRAIN

naomi_klein_tout_peut_changer_couvTroisième anthologie, dans le prolongement des précédentes, de la journaliste canadienne, mondialement traduite. Troisième coup de butoir (plus de 500 pages) sur le bastion capitaliste. Alors que No Logo (2001) puis la stratégie des chocs (2008) mettaient à mal les marques omnipotentes et le libre échange, tout peut changer épingle l’extractivisme alias notre inclination compulsive à l’exploitation des ressources  (le surconsumérisme, son pendant implicite, n’étant pas le sujet du livre). Naomi Klein fustige les industries fossiles à la fois pour leur responsabilité et leur déni du changement climatique. Lequel change tout*. Le premier changement qu’identifie l’auteure a lieu en elle-même vers 2009 : elle prend alors la mesure du caractère catastrophique et inéluctable du réchauffement climatique. Dés lors, il ne s’agit plus d’aménagements, de réformes ou de mesures en demi-teintes voire esquivées lors des sommets planétaires. Non il s’agit d’endiguer toute affaire cessante l’exploitation de nos (sous) sols et d’inventer le post capitalisme.  Toujours implacable tant il est étayé par une rigoureuse investigation à l’échelle mondiale,  l’ouvrage pilonne les émetteurs de GES, cartographie  des combats locaux, démystifie la géo ingénierie, dénonce compromissions et collusions… assène LA vérité qui dérange : nous devons changer, vraiment, maintenant. Comment ? A cet endroit, les solutions ébauchées par la journaliste altermondialiste, récemment convertie à l’écologie, semblent encore un peu… « vertes ».

*This changes everything, titre original de l’opus.

Carburant de la croissance et grand responsable des émissions de GES, les énergies non renouvelables ont fait l’objet d’une somme magistrale et d’un livre à thèse pour qui veut comprendre l’histoire récente de l’énergie et son ambivalence sur laquelle nous éclaire le mot « power ». Or noir, la grande histoire du pétrole, est le fait du journaliste Matthieu Auzanneau. Il y établit l’intime corrélation entre puissance géopolitique et détention de ressources pétrolières, l’irrésistible ascension de l’industrie la plus influente de tous les temps. Avec Carbon Democracy l’historien Timothy Mitchell propose une lecture iconoclaste de nos révolutions industrielles : si les deux énergies carbonées ont affranchi  l’humanité des contingences de la nature, le charbon, le mode opératoire de son extraction supposant une forte concentration de main d’œuvre, a d’abord façonné nos démocraties avec l’avènement du syndicalisme. Les hydrocarbures, eux, beaucoup plus intenses,  fluides par essence permettent une concentration des décisions. Leurs exploitants accélèrent la mondialisation,  façonnent les régimes, alimentent la prospérité matérielle occidentale rançonnée par l’anémie de notre vie politique et l’autoritarisme moyen oriental, nappent le pic pétrolier d’un brouillard gnostique facilitant la maîtrise du prix du baril, étouffent leur responsabilité quant aux émissions de CO2 et entretiennent le mythe de la croissance sans limite ! la thèse est fortement documentée. Naomi Klein n’a pas le monopole de la dissidence en Amérique du Nord.

Matthieu Auzanneau : Or noir, la grande histoire du pétrole (la Découverte 2015)

Timothy Mitchell : Carbon Democracy (La Découverte 2013)

LA VERITE SI JE VENDS

500 ans se sont écoulés depuis Gutenberg pour alphabétiser 80% de la population mondiale. Il en aura fallu 30 pour connecter cette même proportion à Internet : gageons que les entreprises vont se « numériser » à l’instar de leurs publics, vite !

 

TOUS CONNECTES…

En 2025, la planète comptera plus de 6 milliards d’inter- ou mobinautes(1).  A la couverture numérique effrénée de notre monde, s’ajoute une connectivité croissante : nos temps de connexion journaliers moyens s’élèvent toujours plus : un Français se connecte près de 4h chaque jour(2) soit environ 25% de son temps éveillé. A propos de sommeil, des applications « monitorent » le vôtre ! Et c’est là le troisième point caractérisant notre connectivité : son omniprésence protéiforme . Nous serons reliés partout et à tout, « Internet Of Things » oblige : les objets connectés feraient de nous des internautes perpétuels(3).

 

GREGAIRES…

Nous autres connectés faisons la fortune des géants du web lesquels voient 7 milliards de consommateurs sur Terre. Cette vision explique les initiatives de Google (le projet Loon) ou de Facebook (projet Internet.org) pour relier les populations du monde entier à Internet. Notre grégarité fait monter des puissances. Oui, forts de 252 000 employés le chiffre d’affaires cumulé des GAFA avoisine le PIB du Danemark dont la population est 10 fois supérieure(4). Oui, l’e-commerçant Alibaba est entré en bourse et dans l’histoire le même jour en battant un record absolu(5). Oui, Booking.com, l’incontournable intermédiaire de la réservation hôtelière dépense 1,2 milliards d’euros par an en « search ».

 

…REVOLUTIONNAIRES ?

De fait, 3 milliards d’humains se donnent des rendez-vous quotidiens pendant 4h25 sur quelques giga hubs virtuels. Comment s’étonner dés lors de ce que des foules convergent en un Tweet ou cosignent par millions des pétitions ? En avril 2013, sur Twitter, une (fausse) alerte à la bombe produit l’effet d’une vraie : Wall Street perd 136 milliards de dollars en trois minutes. En octobre 2010, sous la pression des internautes, la marque américaine de vêtements Gap fait marche arrière concernant son identité visuelle. Si les data collectées online et si les acteurs du web sont « big », c’est parce que les populations virtuellement rassemblées le sont : en convergeant simultanément non plus forcément dans la rue mais sur Avaaz ou fnac.com, les homo connectus prennent le pouvoir. Sans arrêt.

 

DU REAL TIME MARKETING…

24/24 et 7/7, ainsi va l’e-commerce. Sans arrêt. En France, 59% des français achètent en ligne tandis que seulement 11% des entreprises proposent un e-shop. A croire que nous sommes passés de l’économie de l’offre à celle de la demande. Disons plutôt que l’offre répond en temps réel à une demande. La « VOD » illustre bien cette idée force(7). Les directions marketing des annonceurs superposeront à leurs points de contacts pensés à 360° (dans l’espace) une forte préoccupation 365 jours par an. Par conséquent, les agences médias négociantes d’espaces publicitaires sont en train de s’effacer au profit de places de marché en temps réel (Real Time Bidding). Tendanciellement, une pub ne s’adresse plus à vous en tant que sociotype (âge, profession…) mais selon vos récents comportements « internautiques ».

 

A L’ULTIME  MOMENT DE VERITE…

Alors qui a le pouvoir ? Le marketeur ou le consommateur ? Plus que jamais, ils pactisent. Pour preuves, autant qu’il y a de « P » dans le fameux mix marketing :

PRIX : Ventes privées, La Fourchette ou encore Shop savvy infléchissent les prix et confèrent quelque pouvoir au consommateur.

PRODUIT : les relations sexuelles non plus ne sont pas épargnées et mutent vers toujours plus de connectivité ; la nouvelle division de technologie numérique de Durex lance une application mobile qui aide ses utilisateurs à atteindre l’orgasme(8).

PLACE (distribution) : la goutte d’eau connectée d’Evian court-circuite la « supply chain » : aimantée sur le frigo, elle permet au consommateur de mesurer sa consommation et de commander ses packs d’eau sitôt à court.

PROMOTION : Hiver 2012. Un homme nu sur le catalogue de la Redoute offusque un internaute sur Facebook. La marque réagit…en lançant une chasse, récompensée, aux images inconvenantes. Ce qui eut pu tourner au scandale devient un franc succès de communication pour la marque !

Dans chacun de ces quatre exemples, les consommateurs sont, digitalement, à l’œuvre. Actifs avant, pendant et après l’achat. La période qui précède l’achat, premier moment de vérité, est appelée zone d’intérêt. Après l’achat, le client entre dans une zone de jouissance de son bien ou service. Deuxième moment de vérité. Or cette jouissance, pour être parfaitement comblée, gagne à être partagée. Un selfie jubilatoire sur Instagram ou un Vine enthousiaste cristallise alors l’ultime moment de vérité : l’expérience consumériste réussie parce que partagée, va contribuer à convaincre le prospect encore à la lisière de la zone d’intérêt pour le produit ou service : au moment zéro de vérité, lors d’une requête Google ou sur Tripadvisor par exemple, il sera sensible à la sincérité de témoignages déposés sous le coup de l’impérieux besoin de partager.

 

…VENU POUR LES ENTREPRISES ?

La boucle est-elle bouclée ? Pas tout à fait. Primo, les marketeurs ont commencé de proposer des contenus partageables aux digiborigènes(9) que nous sommes. Secundo, le moment de vérité n’adviendrait-il pas pour les marques ? Sous la pression d’une masse numérisée, encline au partage et à l’évaluation de chaque instant. Le taxi Uber comme l’hôte Airbnb non seulement visent la prestation irréprochable mais sincère ; ils n’ont rien à cacher. Ils vous disent tout. L’entreprise connectée ne serait-elle pas vouée à cette clarté ? Ses marques n’en seraient que plus résilientes : sa marque commerciale ,s’organisera toujours en fonction de trois canaux avant, pendant et après vente. Sa marque employeur en fonction de trois grandes temporalités : recruter/s’entourer, bichonner, garder le contact avec les ex collaborateurs au nom de l’e-réputation. La marque institutionnelle évoluera aussi parce que le moindre tweet peut infléchir le cours boursier ou encore parce que la qualité de l’audience Facebook impacte l’image… en tous points, l’entreprise sera toujours guidée par la réactivité et par une certaine transparence : la vérité si je vends.

 

  • 42% de la population mondiale est connectée à Internet (source We Are Social, janvier 2015)
  • GlobaWebIndex, 2014
  • Quoique plus passifs : l’objet connecté ne requiert pas du tout l’attention d’un écran !
  • GAFA : Google, Apple, Facebook, Amazon. Etude Gafanomics, cabinet Faber Novel réalisée en 2014 sur la base de chiffres 2013.
  • Vendredi 19 septembre 2014, pour son premier jour de cotation, le géant chinois est parvenu à lever 25 milliards de dollars. Soit une valorisation de 226 milliards.
  • Etude sept 2014. Roland Berger, en collaboration avec l’association Cap Digital
  • vidéo à la demande. Quoique doté d’un catalogue peu profond, Netflix a intégré le double paramètre « quand je veux », « où je veux ».
  • , #DurexLabs disponible depuis mars 2015

« un individu pour qui les espaces numériques sont des espaces de vie ». Blog de Nicolas Bordas citant Yann Leroux. digiborigene.fr